Si le milieu du cinéma nous a fait bouffer du Vietnam à tort et à travers, le jeu vidéo ne l’a jamais considéré comme un terreau aussi fertile que la Seconde Guerre mondiale. Vietcong, Battlefield Vietnam, Bad Company 2 Vietnam ou encore Black Ops ont à leur manière dépeint ce conflit, mais cela fait bientôt sept ans qu’aucun titre ne s’est aventuré sur ces plates-bandes. C’était sans compter sur Tripwire et Antimatter, qui après un Rising Storm plutôt réussi ont décidé d’orienter sa suite vers cette guerre, tout en essayant d’y apporter des nouveautés sans sacrifier l’identité de la licence. Après plusieurs heures à crapahuter aux quatre coins du delta du Mékong, voici nos impressions.
Charlie Don’t Smurf
Que les vétérans de Red Orchestra se rassurent, ils ne seront pas trop dépaysés de prime abord par le gameplay. Pour les nouveaux venus, il convient de rappeler que cette école de FPS multijoueur n’est pas à mettre entre toutes les mains. Des personnages fébriles et pas vraiment mobiles, une volonté de reproduire des dégâts réels et une mise en exergue de tout ce qui peut enrayer la machine de guerre sont autant de piliers de ce genre de titre, pour mieux placer les joueurs en face de la dure réalité du terrain. En gros, vous allez crever, et plus souvent éparpillé par le souffle d’un obus qu’en prenant une bastos entre les deux yeux. Du coup, la recette retenue pour Rising Storm 2 est assez simple puisqu’elle consiste toujours à mettre deux équipes d’une trentaine de joueurs l’une en face de l’autre, s’affrontant pour le contrôle du territoire. La particularité de cet épisode par rapport à son homologue de la Seconde Guerre mondiale ? Introduire une asymétrie dans le jeu grâce aux deux factions. D’un côté les forces américaines, avec une puissance de feu bien plus importante, des classes mieux équipées et un support aérien grâce aux hélicoptères. De l’autre se trouve l’armée du nord-Vietnam, comblant ses lacunes en termes d’équipement par une plus grande mobilité en utilisant les tunnels, la possibilité de poser des pièges et des zones de maps plus propices à la guérilla.
Attention, il ne faut pas s’attendre à des changements drastiques entre les deux équipes, mais plutôt à une philosophie de jeu différente à assimiler afin de remplir son rôle à la perfection. Après tout, on reste dans du FPS militaire assez exigeant sur le contrôle des armes, de la santé et surtout de la communication entre les joueurs. Cette différence d’état d’esprit entre les deux équipes va ainsi façonner la manière d’aborder telle ou telle escarmouche, et c’est bien entendu toute la chaîne de commandement qui va en être affectée. Ainsi, le Commander aura pour rôle (en plus d’user ses pompes comme les autres sur le terrain) de coordonner les mouvements des escouades et surtout d’apporter à l’avancée des troupes le maximum de support. Les capacités sont différentes en fonction des camps, mais tournent grosso merdo toujours autour de barrages d’artillerie (et autres bombardements), de reconnaissances aériennes et d’un déploiement instantané de troupes sans attendre la prochaine vague. A la manière du récent Day of Infamy, le Commander devra aussi utiliser une radio pour passer ses ordres, qu’elle soit sur le dos d’un joueur, posée dans un coin de la carte ou même en vissant ses miches dans un hélicoptère.
Si en premier lieu il est aisé de s’enfermer dans son rôle de soudard sans trop réfléchir, ce qui fera la différence sur le terrain (outre la propension de chacun à manier sa M16 comme un chef), c’est bien entendu la physionomie des combats. Côté G.I., on préférera les déplacements en escouade serrée, conférant une puissance de feu importante et une force de projection plus grande. Côté Vietcong, on optera plutôt pour des assauts massifs et en nombre sur des positions fixes, et des embuscades entres les points pour casser le tempo de l’adversaire, tout comme son moral. Avec des déplacements qui peuvent parfois prendre quelques minutes pour arriver à un point, savoir que Gunter666 a fini par sauter sur une mine en voulant faire le malin dans la jungle est toujours une bonne source de satisfaction. Au delà de toute affinité avec un côté ou l’autre, il faut bien reconnaître que l’équilibre trouvé entre les deux équipes fonctionne vraiment bien et que tout cela apporte un peu de fraîcheur dans les combats, surtout que ceux-ci sont automatiquement joués dans chaque camp pour plus d’équité.
Le Syndrôme de Saigon
Qui dit gameplay asymétrique dit forcément quelques arrangements dans le level design, et à ce petit jeu-là Rising Storm 2 Vietnam prouve une fois de plus le talent de ses créateurs pour offrir des maps de qualité. Le mode Territory fait son retour pour proposer une attaque-défense où les Yankees seront toujours sur l’offensive, profitant de la densité des cartes pour créer un mille-feuille où chaque recoin peut potentiellement accueillir la bouche d’un canon adverse. Y progresser n’est pas une sinécure, et il faut (en plus d’accorder une confiance parfois aveugle aux autres membres de l’escouade) profiter de chaque couvert pour éviter de finir six pieds sous terre. Le mode Suppremacy pour sa part offre les plus grands terrains de jeu, avec les hélicoptères et tout le toutim, et se présente comme un maillage de drapeaux reliés aux bases des deux équipes. En plus de capturer les points, il faut faire en sorte de maintenir un lien entre ces derniers et le QG, sans quoi le compteur de tickets ne grimpera plus. Il est ainsi tout à fait possible de créer une escouade dont le seul but consiste à saper des zones plus éloignées, créant par la même occasion un trou dans la ligne et posant une bonne grosse poignée de caillasses dans les rangers des gars d’en face. A cela s’ajoute enfin un mode en plus petit comité, calibré pour un maximum de seize joueurs et beaucoup plus porté sur l’action directe.
Au delà de ces modes qui ronronnent au coin du feu, c’est bien entendu le LD associé qui fait monter la mayonnaise tranquillement. Que ce soient les cartes urbaines, celles qui se déroulent dans les rizières ou d’autres perdues tout au fond de la jungle et accrochées à de forts reliefs, l’ensemble du map cycle est un joli éventail faisant montre à la fois de variété, mais aussi de maîtrise. Le plus gros du boulot vient bien entendu des lignes de tir, ou plutôt de leur multiplicité, faisant basculer le joueur dans la parano. Un aspect d’autant plus appréciable qu’avec les hélicos dans la danse, la canopée occupe aussi un rôle de choix pour protéger ses miches. La fébrilité des bidasses (une ou deux balles suffisent à tomber), les temps de respawn et l’éloignement des objectifs viennent aussi transformer tout accès à une tête de pont en une course au drapeau qu’il faudra bien entendu refreiner, sous peine d’exposer le haut de son casque au détour d’une colline, et de se faire trouer la pastèque dans la plupart des cas.
Les classes embarquant des fumigènes offrent alors un peu d’air et un sentiment de sécurité virtuelle à l’équipe pour parcourir les derniers mètres au milieu d’un feu d’artifice de tous les calibres. Outre les pétoires embarquées par les soldats, ce sont surtout les tirs d’artillerie qui donnent le ton, écrasant les positions avec des obus de gros calibre ou ceux chargés au phosphore, créant des formes et des volumes aussi hypnotiques que mortels. On regrettera d’ailleurs dans ce sens les effets visuels liés à la suppression ou aux explosions proches, transformant par moment l’écran en une simulation de cataracte d’où il est impossible de distinguer la moindre forme. Côté balistique, la puissance des armes est parfaitement traduite en jeu et l’ensemble du râtelier est un vrai plaisir à manipuler, comme dans toutes les productions de Tripwire. Vider des bandes entières de M60 à travers la végétation luxuriante sur une simple intuition est vraiment grisant et le délai que le jeu imprime (quelques secondes) sur le kill counter entre le moment du frag et celui où il est indiqué apporte un peu plus de tension et force le joueur à rester attentif plutôt que de simplement zieuter le coin de l’écran. Seule petite ombre au tableau, le manque de recul de certaines armes automatiques (AK en tête) qui facilite un peu trop les tirs en automatique à longue distance.
Verdict
En transportant les joueurs en plein enfer du Vietnam, Antimatter livre avec Rising Storm 2 Vietnam un épisode aussi bon qu’inspiré. Des combats intenses et violents, un teamplay solide et un level design aux petits oignons : RS2V offre même une petite bouffée d’air frais dans le milieu des FPS multi. On peut certes lui reprocher sa technique un peu en retard ou une relative rigidité sur certains points de gameplay, mais l’apport de l’asymétrie et son ambiance sonore permettent de passer outre ces quelques défauts, le tout pour le prix d’une course en VTC entre la Porte Maillot et la place de la Concorde. Que demande le peuple ?